L'histoire de la colonisation menée par la France et l'Angleterre au cours des siècles n'est pas seulement un récit d'expansion géographique et de rivalités militaires. Elle est aussi une expression profonde des structures sociales, politiques et économiques qui animaient chacune de ces nations. En examinant leurs méthodes d'outre-mer, complétées par l'analogie de leurs systèmes d'héritage, on discerne deux modèles structurels fondamentalement différents : l'un tendant vers l'égalitarisme (relatif) et l'intégration pour la France, l'autre ancré dans la hiérarchie et l'exploitation (principalement économique) pour l'Angleterre. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour saisir les dynamiques persistantes, notamment au Québec.
L'Angleterre, puissance maritime émergente, a souvent abordé la colonisation sous l'angle du commerce et de l'entreprise privée. Les colonies étaient fréquemment établies par des compagnies à charte (comme la Compagnie de Virginie), dont l'objectif premier était le profit. Cette approche déléguée et axée sur le rendement économique immédiat reflète une structure sociétale où la richesse et le pouvoir étaient concentrés et où l'initiative venait souvent d'une élite marchande ou aristocratique sous la protection de la Couronne. Les établissements étaient souvent des comptoirs commerciaux ou des plantations gérées de manière hiérarchique, avec une distinction nette entre colons, administrateurs et main-d'œuvre (parfois réduite en esclavage). L'accent était mis sur l'extraction de ressources ou la production pour le marché, reproduisant outre-mer une structure où les relations étaient dominées par la hiérarchie et la recherche du gain.
La France, bien que monarchique, a souvent envisagé ses colonies, notamment la Nouvelle-France, comme une extension du royaume, un projet d'État. L'administration était plus centralisée, avec des gouverneurs et des intendants nommés par le roi. Si le commerce des fourrures était crucial, il y avait aussi une volonté marquée d'établir une société stable, avec des efforts d'installation de colons ('habitants'), l'organisation paroissiale, et un idéal (souvent difficile à réaliser) d'intégration ou d'alliance avec les populations autochtones, symbolisé par l'importance des coureurs des bois et des missionnaires. Cette approche, moins purement axée sur l'exploitation économique immédiate par des compagnies privées et davantage sur la construction d'une société organisée par l'État, même sous l'autorité royale, portait en germe un idéal plus diffus et moins rigidement stratifié que le modèle anglais initial, du moins dans sa vision structurelle du peuplement et de l'administration.
L'analogie des lois successorales vient éclairer cette distinction structurelle. En Angleterre, la règle de la primogéniture masculine était largement répandue, en particulier dans l'aristocratie et la bourgeoisie terrienne : l'aîné héritait de la totalité des biens fonciers pour maintenir l'intégrité du domaine familial et consolider le pouvoir de la lignée. Ce système renforce la concentration de la richesse et du statut, perpétuant une structure sociale hiérarchique et immuable de génération en génération. En France, si des inégalités existaient, la tendance historique, particulièrement après la Révolution, mais avec des prémices antérieures dans les coutumes locales, était à une division plus égale (ou plus partagée) des biens entre tous les enfants. Ce partage, même s'il pouvait fragmenter les patrimoines, reflète un idéal (ou du moins une tendance structurelle) où l'héritage et l'opportunité sont distribués de manière plus large au sein de la fratrie, moins concentrée sur la perpétuation d'une seule lignée dominante au détriment des autres.
Ces modèles structurels – l'un hiérarchique et basé sur la concentration des pouvoirs et richesses (Angleterre), l'autre tendant vers une distribution plus large et une organisation étatique de la société (France) – ne sont pas restés confinés au passé. L'héritage de la Conquête britannique au Québec a superposé une structure de gouvernance et économique fondamentalement différente sur une société imprégnée des codes et des idéaux (même inachevés) de la structure française. Cette superposition crée une tension persistante.
Le Québec d'aujourd'hui vit avec les conséquences de cette rencontre entre une âme structurellement plus portée sur l'égalitarisme relatif et l'organisation collective (l'héritage français) et un cadre institutionnel et économique hérité d'une structure plus hiérarchique et axée sur l'initiative privée concentrée (l'héritage britannique/canadien). Cette dissonance structurelle fondamentale explique en grande partie les défis et les aspirations du Québec contemporain. L'urgence d'agir au niveau de la souveraineté découle de la nécessité de résoudre cette tension structurelle historique. Pour s'épanouir pleinement et aligner ses institutions sur les principes qui l'animent en profondeur – un certain idéal d'égalitarisme, de solidarité et de contrôle collectif sur son destin – le Québec est confronté à l'impératif de se doter d'une structure politique qui émane de lui-même et réponde à son génome historique et social propre. L'analyse scientifique des mécanismes de colonisation et des structures d'héritage offre une clé pour comprendre pourquoi cette question n'est pas accessoire, mais touche à la nature même de la société québécoise et à sa capacité à se projeter selon ses propres principes.