Toute l’œuvre de Freud dit que la névrose évolue soit vers la perte de contrôle, la psychose (l'hystérie), ou le trop de contrôle, la perversion (l'obsession) ; c'est la tension fondamentale de son œuvre que la névrose se situerait en quelque sorte sur un axe, avec la psychose à une extrémité marquée par une rupture du lien avec la réalité et une perte des mécanismes de contrôle du Moi, et la perversion à l'autre extrémité, caractérisée par une organisation psychique rigide et une fixation sur des modes de satisfaction pulsionnelle spécifiques et souvent déviants des normes sociales.
Les phobies, au centre, sont essentiellement des névroses, des peurs, qui n'ont pas évoluées sur cet axe, et en stagnant, qui deviennent des marécages.
La pensée freudienne, bien que complexe, offre une perspective fascinante sur l'organisation psychique humaine.
Au cœur de cette perspective se trouve la notion de névrose, souvent perçue à tort comme une pathologie isolée mais qui est en fait constitutive du moi.
Nous proposons ici une vision de la névrose non pas comme une entité statique, mais comme un point d'équilibre dynamique sur un spectre dont les extrémités pourraient être la psychose et la perversion.
Fondamentalement, la névrose émerge du conflit entre nos pulsions (le "ça"), les interdits intériorisés (le "Surmoi") et la nécessité de s'adapter à la réalité (le "Moi"). Ce sont les mécanismes de défense du Moi, cherchant à gérer l'angoisse issue de ce conflit, qui façonnent les différentes expressions névrotiques.
Imaginons un axe.
À une extrémité, nous trouvons la psychose. Caractérisée par une rupture du lien avec la réalité et une perte des mécanismes de contrôle du Moi, la psychose pourrait être interprétée comme une "prise de possession du ça". Les pulsions submergent les capacités de régulation, conduisant à un déferlement de l'inconscient et à une perception altérée du monde extérieur.
À l'autre extrémité, se dessine la perversion. Loin d'être un simple écart de conduite, elle pourrait être conceptualisée comme une "prise de possession du Surmoi". Ici, les interdits sont paradoxalement intégrés et détournés au service d'une satisfaction pulsionnelle spécifique et rigide. La structure psychique se fige dans des scénarios répétitifs, témoignant d'un contrôle excessif exercé par un Surmoi particulier.
La névrose, dans sa diversité phobique, se situerait alors entre ces deux pôles et tout cet axe est névrotique. Les symptômes névrotiques seraient des tentatives de compromis entre les pressions du ça et les exigences du Surmoi, modulées par les capacités du Moi.
Envisager la névrose comme un spectre entre une perte de contrôle (psychose) et un excès de contrôle (perversion) permet de mieux appréhender la dynamique fondamentale à l'œuvre dans l'organisation psychique.
Cette approche souligne l'importance de comprendre les mécanismes de gestion des pulsions et les rôles respectifs du ça, du Moi et du Surmoi dans la formation de notre expérience psychique; si le surmoi prend le dessus du moi, on est dans la perversion, le trop-contrôle, la chasse, même s'il n'y a pas transgression, ce qui n'est qu'une autre forme de contrôle des pulsions, inversement, si le ça prend le dessus du moi, on est dans la psychose, l'hors-contrôle, le rêve.
L'analogie toltèque des guerriers et des rêveurs nous offre une perspective nouvelle sur le spectre névrotique. En transposant cette idée au contexte des systèmes pénitentiaires, notamment scandinaves, des réflexions surprenantes émergent concernant notre approche de la maladie psychique.
Traditionnellement, nos sociétés tendent à distinguer nettement le psychotique, souvent perçu comme malade et nécessitant des soins en institution psychiatrique (l'asile), du pervers, vu comme un délinquant devant être puni et incarcéré (la prison). Cette dichotomie rigide reflète la perception du psychotique comme ayant "perdu le contrôle" et du pervers comme exerçant un "excès de contrôle" déviant.
Cependant, cette distinction binaire mérite d'être nuancée. Si l'on s'en tient à l'étymologie, le terme "perversion", du latin pervertere, signifie détourner. De même, "séduire" vient aussi d'une racine impliquant un détournement d'un chemin initial. Dans une perspective freudienne, la perversion pourrait alors être comprise comme une énergie pulsionnelle dont la trajectoire naturelle est détournée et rigidifiée par un Surmoi Excessif. La psychose, étymologiquement "maladie de l'âme", manifeste une rupture du lien avec la réalité, une perte de contrôle qui évoque l'état de maladie.
Or, si la psychose est indéniablement une maladie, la perversion l'est tout autant. L'organisation psychique rigide et les fixations pulsionnelles du pervers témoignent d'un dysfonctionnement profond, d'une souffrance psychique qui, bien que s'exprimant différemment de la psychose, n'en est pas moins réelle.
Les systèmes pénitentiaires scandinaves, en mettant l'accent sur la réhabilitation plutôt que sur la punition, semblent saisir cette complexité. En offrant un environnement axé sur le développement personnel, l'éducation et le soutien psychologique, ils reconnaissent implicitement que le comportement déviant, y compris celui que nous qualifions de "pervers", peut être le symptôme d'une souffrance sous-jacente et potentiellement amendable.
Cette approche contraste fortement avec une vision qui cantonne le "pervers" au rôle de bourreau méchant méritant uniquement la sanction, et celui du "psychotique" à la pauvre victime innocente incapable de subir un procès, plus est, elle est victime du pervers. On retrouve ici les dynamiques du triangle dramatique de Karpman, la victime et le bourreau, mais qu'en est-il des sauveurs? Les extrémités droites et gauches se situent souvent là, chacun à leur façon, s'auto-proclamant les justes, où les "wokes" incarnent les sauveurs compatissants des psychotiques et où les MAGA du "Great Awakening" de QAnon, sauvent les enfants des mains d'une cabale pédophile.
Ainsi, envisager la psychose et la perversion comme les deux extrémités d'un même spectre névrotique nous invite à dépasser ces jugements moraux hâtifs. Reconnaître la souffrance inhérente aux deux états ouvre la voie à des approches plus thérapeutiques et potentiellement plus efficaces, même dans le contexte de comportements socialement inacceptables. La réhabilitation, à l'image des efforts scandinaves, pourrait alors ne plus être perçue comme une indulgence envers le "mal", mais comme une reconnaissance de la complexité de l'âme humaine et une tentative de restaurer un équilibre psychique perdu, quelle que soit la manifestation de ce déséquilibre.
La distinction binaire entre le psychotique malade et pervers délinquant, que les systèmes scandinaves tentent de dépasser par une approche de réhabilitation, trouve un éclairage pertinent dans la généalogie de la morale de Friedrich Nietzsche.
Cette perspective philosophique déconstruit l'origine de nos conceptions morales, révélant comment des valeurs initialement liées à la force et à la noblesse ont été subverties pour donner naissance à une morale dite "d'esclaves", fondée sur le ressentiment et la victimisation.
Nietzsche explique que les notions de "bien" et de "mal" n'ont pas une origine transcendante ou naturelle.
Initialement, le "bon" était ce qui était noble, puissant et sain, tandis que le "mauvais" était associé à ce qui était faible et méprisable.
Cependant, une "révolte des esclaves" dans le domaine moral s'est produite. Les opprimés, incapables d'agir et de s'affirmer, ont inversé ces valeurs. Leur impuissance a été transmuée en vertu, leur faiblesse en bonté, et leurs oppresseurs, initialement "bons", ont été redéfinis comme "mauvais" et "méchants".
Cette généalogie révèle que notre tendance à catégoriser rigidement les individus en "bons" (victimes, psychotiques) et "mauvais" (bourreaux, pervers) est le fruit d'une construction historique et psychologique, plutôt qu'une vérité intrinsèque. Cette morale du ressentiment érige des barrières et empêche une compréhension nuancée de la complexité humaine. Elle fige les individus dans des rôles prédéfinis, perpétuant un cycle de jugement et de punition sans chercher à comprendre les racines de la souffrance.
Appliquée à notre discussion, la généalogie nietzschéenne suggère que notre manichéisme psychique, qui oppose le malade au délinquant, est une manifestation de cette morale "d'esclaves".
Nous avons tendance à compatir avec celui qui semble "faible" (le psychotique) et à condamner celui qui apparaît comme "fort" (le pervers), sans examiner la souffrance sous-jacente qui anime leurs comportements respectifs, ce qui est un manque de science. La critique éthique nietzschéenne est en ce sens épistémologique aussi.
En adoptant une perspective généalogique, nous sommes invités à dépasser ces jugements moraux hâtifs. Reconnaître que les catégories de "psychotique" et de "pervers" peuvent toutes deux être des expressions d'un déséquilibre psychique, comme le suggère l'approche scandinave, représente un pas vers une science humaine plus mature et une éthique plus éclairée.
Il s'agit de déconstruire nos réflexes moraux hérités pour embrasser une compréhension plus profonde de la complexité de l'âme humaine et ouvrir la voie à des approches de réhabilitation véritablement efficaces.
Dans la perspective toltèque, une analogie éclairante se dessine, enrichissant notre compréhension du spectre névrotique.
Imaginons la civilisation comme un vaste projet collectif.
À une extrémité, nous trouvons les rêveurs, ceux dont l'imagination fertile explore les confins de la réalité, parfois au risque de s'en éloigner. Ils incarnent une certaine fluidité psychique, une capacité à déconstruire les normes et à envisager de nouveaux possibles. En termes freudiens, ils pourraient s'approcher d'une certaine "prise de possession du ça", une sensibilité accrue aux courants de l'inconscient, source d'innovation mais aussi de vulnérabilité face aux limites de la réalité.
À l'autre extrémité, se tiennent les guerriers, caractérisés par leur discipline, leur rigueur et leur maîtrise de soi. Ils sont les gardiens des structures, les artisans de l'ordre. Leur force réside dans leur capacité à canaliser leur énergie, à établir des limites claires et à maintenir une forme de contrôle sur leur environnement. Cette posture fait écho à la "prise de possession du Surmoi", où les règles et les interdits sont internalisés avec force, assurant une cohésion sociale mais pouvant aussi engendrer une certaine rigidité.
Dans cette analogie, la névrose, avec ses multiples expressions, représente le champ de tension entre ces deux pôles. Les "guerriers" ne sont pas intrinsèquement des pervers malades de leur contrôle, même si pervers est le mot choisi, pas plus que les "rêveurs" ne sont nécessairement des malades psychotiques dans leur exploration imaginative. Au contraire, la dynamique d'une société saine pourrait résider dans la reconnaissance et la valorisation de ces deux forces.
Les "guerriers", avec leur sens de la structure et de la protection, peuvent devenir les remparts des "rêveurs", les aidant à ancrer leurs visions dans le réel, à naviguer les contraintes du monde tangible sans se perdre dans les méandres de leur propre psyché. Leur "trop de contrôle" peut alors se muer en une force stabilisatrice, un cadre sécurisant pour l'éclosion des idées nouvelles.
Inversement, les "rêveurs", par leur capacité à transcender les limites établies et à imaginer des futurs alternatifs, nourrissent la société de créativité et de perspectives nouvelles. Leur sensibilité aux courants souterrains, souvent perçue comme une forme de "perte de contrôle", peut en réalité être une source d'intuition et d'innovation essentielle au progrès.
Ainsi, plutôt que d'opposer ces deux pôles comme des états pathologiques distincts, il est plus pertinent de les envisager comme des forces complémentaires au sein d'un même spectre. Une société qui stigmatise l'un au profit de l'autre s'appauvrit. La véritable richesse réside dans la capacité à reconnaître la valeur intrinsèque de chaque position et à favoriser une alliance où la force protectrice des "guerriers" soutient l'audace imaginative des "rêveurs", pour le bénéfice de l'ensemble. La névrose, dans sa diversité, n'est alors plus un marécage stagnant, mais un terrain fertile où cette tension dynamique peut s'exprimer et se résoudre de manière créative.